Les sept wilayas
où s'inscrit le périmètre
Thenia -
Sétif -
Jijel totalisent une
population d'environ six millions de personnes
dont,
suivant les estimations, de trois à trois millions et demi de kabylophones
.
Selon le recensement de 2008, la
wilaya de Tizi Ouzou
compte plus d'1,1 million d'habitants, répartis en 67 communes
, alors que
les 52 communes de la wilaya de Béjaïa
rassemblent près d'un million d'habitants
.
Le reste des populations kabylophones de la région se répartit sur la moitié
est de la wilaya de Boumerdès,
la moitié nord de la
wilaya de Bouira,
le nord de la wilaya de Bordj Bou Arreridj,
l'ouest de la wilaya de Jijel, et le nord-ouest de la wilaya de Sétif.
La densité démographique reste élevée, atteignant jusqu'à
375 hab./km2 dans la wilaya de Tizi Ouzou. Toutefois l'accroissement de la population est relativement faible par rapport à
l'ensemble du pays, son taux n'étant que de 0,2 % dans la wilaya de Tizi Ouzou et de 0,6 % dans celle de Béjaïa
Peuplement du peuple kabyle
Les Kabyles contemporains font partie du vaste ensemble des héritiers des premiers
Berbères, dont les origines ont donné
lieu à une multitude d'hypothèses. Les spécialistes restent partagés entre tenants d'un foyer initial
moyen-oriental ou africain ; les estimations de l'époque d'apparition du berbère en Afrique
du Nord varient de 8 000 à 2 500 ans avant notre ère
.
Les données archéologiques et linguistiques disponibles
ne permettent pas de trancher mais elles établissent suffisamment
l'ancienneté et la continuité de la présence des
Berbères dans leur espace actuel pour qu'on puisse les qualifier
d'autochtones.
La question de l'origine des hautes densités montagnardes kabyles divise encore
les historiens. Aux extrêmes s'opposent la thèse d'un peuplement dense
très ancien, antérieur à la présence romaine, et celle
d'un afflux tardif, consécutif à l'arrivée des Arabes
. Toutefois, un relatif consensus se dégage sur plusieurs points. Pour commencer, une distinction semble s'imposer, pour l'ensemble de l'
Afrique du Nord, entre un premier peuplement
berbère, « paléo-montagnard »,
caractérisé par la pratique des cultures en terrasses,
s'étendant progressivement depuis les Aurès et l'Atlas
saharien jusqu'aux Hautes Plaines ; et un second, « né
o-montagnard », ignorant la technique des terrasses et propre
aux massifs du Tell : c'est à cette seconde vague, plus tardive,
que l'on rattache les premières populations de Kabylie
.
La présence de populations dans l'ensemble de la région, dès
l'époque romaine au moins, paraît également attestée,
le seul point encore en débat portant sur le peuplement du territoire
relativement restreint, mais aussi le plus densément peuplé, que
constitue le
massif Agawa. Enfin, il est généralement admis que ce peuplement
initial s'est trouvé accru, à partir du
Xe siècle, de l'apport de populations d'agriculteurs menacés
par le processus de pastoralisation des plaines puis, à partir du
XIVe siècle surtout,
par les prélèvements fiscaux du makhzen
.
Les traditions locales paraissent corroborer l'hypothèse d'une dualité
historique du peuplement kabyle.
Economie kabyle
Jusque vers 1900, la base de
l'économie régionale reste une arboriculture de montagne dont l'
olivier
et le figuier
constituent les deux piliers
.
Les productions céréalières sont l'apanage des quelques propriétaires
de terres de fond de vallées mais, après la révolte de 1871, celles-ci
sont confisquées au profit des colons. Quant à l'élevage, principalement
caprin, quelquefois ovin ou bovin, il est limité par l'exiguïté des
sols disponibles pour les pâturages
.
Avant la conquête française, l'une des principales sources de revenus
extra-agricoles est constituée par l'artisanat et en particulier la fabrication des
armes, le travail du
bois et le
tissage. La perte
de l'indépendance entraîne la fermeture des fabriques d'armes et la
confiscation des forêts. Le tissage se maintient jusqu'à nos jours
grâce à la demande persistante de
burnous et de couvertures
de laine mais a largement perdu de son importance économique. Beaucoup
d'activités artisanales ont disparu et celles qui subsistent, comme la
bijouterie,
apparaissent très menacées
.
L'
émigration est l'autre grande source de revenus complémentaires
de la Kabylie précoloniale. Elle s'étend alors à toute
l'Algérie et à une partie de la Tunisie, tout en conservant très
généralement un caractère temporaire. à la suite de la
colonisation, qui en élargit le champ à la métropole
française, elle devient un phénomène massif. En
1948, pour une
famille kabyle moyenne qui tire de ses terres un revenu annuel de 50 000
francsnote 18,
l'émigré, qui rapporte en moyenne 100 000 francs par an,
représente un complément de revenu souvent indispensable.
Les équipements de base des villages comme les routes secondaires, les écoles,
les bibliothèques, la rénovation des puits, l'entretien des moyens d'irrigation
et les mosquées ont souvent été financés avec les revenus
de l'émigration. Dans les pays d'accueil, les immigrés reconstituaient les
assemblées de village (tajmaat)
pour décider des projets pouvant bénéficier à
la population. Cette dynamique explique que les villages kabyles aient
su résister dans une certaine mesure à l'émigration
massive de leurs habitants.
L'aide de la diaspora
constitue toujours un facteur de dynamisme. En même temps, les fonds
ainsi apportés, collectés et gérés par les
assemblées villageoises accentuent l'autonomie des villages kabyles.
Après l'indépendance, la région connait divers plans de développement
économique. Dans un premier temps
(1967-
1973)
l’état procède à la création de petites
entreprises publiques axées sur l'artisanat traditionnel, pour favoriser
la création d'emplois dans les zones rurales et les dynamiser.
De manière complémentaire, il développe
jusqu'en 1980
des complexes industriels spécialisés, comme ceux des
sociétés ENIEM (électroménager) à
Tizi Ouzou
ou ENPC (plasturgie) à Sétif.
Le secteur privé, qui est alors délaissé par les politiques publiques,
correspond le plus souvent à de petites unités de production, dans
l'agroalimentaire ou les produits de construction, destinées au marché
local ou régional.
Dans les décennies suivantes, en raison de divers facteurs (dévaluation de la
monnaie, fragilité des structures financières, prix administrés, etc.),
les conditions d'activité de beaucoup d'entreprises publiques locales se dé
gradent, y compris dans le secteur de l'artisanat traditionnel. De la même faç
on, les grandes entreprises publiques, dépendantes des mesures de soutien de la demande,
souffrent de la contraction de celle-ci à la suite de la dévaluation du dinar
et de l'augmentation des charges d'exploitation. Ainsi, une entreprise comme ENIEM voit
sa production chuter dans les années 1990. Les années 2000 voient émerger
un secteur privé dynamique. La création d'entreprises augmente, l'activité
se diversifie vers des domaines technologiquement complexes et, fait nouveau, de grandes
entreprises privées de dimension internationale se constituent.
Sur le plan sectoriel, l'agroalimentaire connait dans la région un certain
développement, avec la constitution d'une multitude d'unités de production
de produits laitiers et de glaces, mais aussi l'implantation d'usines de grands groupes
comme Cevital
ou la société d'eaux minérales
Ifri.
Traditionnellement prédominante, l'agriculture de montagne perd de la place au
profit de l'industrie manufacturière
locale, plutôt située vers les Hauts Plateaux, et de l'industrie
agro-alimentaire. Par ailleurs, la Kabylie fournit une grande partie de l'eau potable
aux régions fortement urbanisées qui la bordent à l'est et à
l'ouest.
Le tourisme est une autre activité pour laquelle la région, qui au
XIXe siècle
était qualifiée de « Suisse sauvage »
,
bénéficie d'atouts. Dans la
wilaya de Béjaïa,
le groupe Cevital obtient en 2008
une assiette foncière de 26
hectares à
l'intérieur de la zone d’expansion touristique (ZET) d’Agrioun, à
Souk El Ténine
(une station balnéaire située à une trentaine de kilomètres
à l’est du chef-lieu de wilaya), pour l’implantation d’un
complexe touristique moderne.
Pourtant les limites du développement régional se traduisent par
un chômage endémique important, qui frappe en particulier la jeunesse.
En 2006, le nombre de chômeurs s'élève officiellement à 25,6 % de
la population active dans la wilaya de Tizi Ouzou.
Organisation sociale traditionnelle
L'
organisation sociale kabyle a connu des évolutions au cours de son histoire,
tout en préservant certains de ses traits. La société pré
-coloniale reposait sur un ordre lignager et sur l'imbrication les unes dans les autres
de plusieurs structures sociales : les lignages constituent des clans (axerrub,
adrum), qui forment des villages (taddart) eux-mêmes regroupés en tribus (âarch) ; les tribus peuvent à leur tour être associées dans des ensembles plus vastes, les taqbilt ou confédérations.
Cette organisation hiérarchisée comporte des exceptions : ainsi certains
villages ne font partie d'aucune tribu. La confédération est une structure
souple, les notables des tribus confédérées se réunissant pour
gérer les événements exceptionnels, comme les conflits armés.
Du
XVIe siècle jusqu'à
la conquête française
existent en outre deux grandes ligues (seff) qui sont des agglomérats de confédérations tribales,
seff n wadda (la « ligue du bas ») et seff n ufella
(la « ligue du haut »)
.
Le rôle politique des confédérations prend fin avec la
colonisation et le maillage administratif de la région. Les quelques
confédérations qui subsistent, comme celle des Aït Iraten,
n'ont plus de rôle d'identification sociale
.
Le
XIXe siècle
connaît aussi l’existence de « grands commandements »
qui dépassent les limites tribales, exercés par une aristocratie
guerrière comme celle des
Aït Mokrane (dont le patronyme est souvent arabisé
en « Mokrani »), ou religieuse comme celle des
Ben Ali Chérif. Les premiers, qui détiennent un rôle
politique de premier plan, le voient totalement anéanti après la
révolte de 1871.
L'influence religieuse des seconds, quant à elle, perdure mais
se trouve amoindrie par la
présence française.
Les unités sociales les plus restreintes survivent mieux aux bouleversements
historiques. Ainsi, au XIXe
siècle, le village kabyle apparaît comme la « pierre
angulaire de la société ». L'institution qui l'administre,
la tajmaât (assemblée
villageoise) dispose à la fois des pouvoirs politique, administratif et
judiciaire. La tribu aussi présente des éléments de cohésion
sociale forts (territoire, sanctuaires, marché, solidarité en cas de guerre,
etc.). Dans un premier temps, les autorités coloniales garantissent le respect du
fonctionnement du village, de son assemblée et de la tribu. Cependant, au fur et
à mesure des remaniements administratifs, la
tajmaât perd de ses prérogatives officielles, tout en
continuant parfois de les exercer officieusement.
La fin de la période coloniale voit se superposer un niveau d'organisation
officiel, la commune administrative, et un niveau « occulte »,
la tajmaât, avec ses qanun, ses ressources propres,
ses amendes et ses agents d'exécution. L'assemblée villageoise
gère avec grande liberté les affaires locales, exerce les pouvoirs
de police et jouit auprès de la population de plus d'autorité que
les agents assermentés par l'administration française. Les qanun font même l'objet d'un
renouvellement, signe d'une activité réelle de l'institution
.
Après l'indépendance du pays, toujours en marge des structures officielles
que sont les assemblées populaires
communales, les tajmaât
se maintiennent, avec des prérogatives érodées. Elle mettent
à contribution tous les citoyens, émigrés compris. Mais ne
gérant plus que les travaux d'utilité publique (voirie, eau
potable…), souvent pour pallier les insuffisances des institutions
officielles, ou bien des manifestations culturelles comme le sacrifice d'automne
(timechret), elles souffrent alors
d'un certain anonymat.
Le réveil identitaire berbère va leur
donner un nouveau souffle et inverser la tendance
historique. Le
Printemps berbère
de 1980 s'accompagne d'un réinvestissement de l'espace
du village, par les jeunes notamment, qui évite sa
transformation en « musée ».
La loi sur le pluralisme (1988) permet la création
de « comités de village » à
statut associatif et d'associations diverses, véritable
version moderne de la tajmaât.
Les villages kabyles possèdent tous au moins une des trois structures :
tajmaât, comité
de village ou association, la première se maintenant dans certains
villages à côté des comités et associations,
comme une sorte de « conseil des sages » (lâaqel n taddart).
Au cours des années 1980 et 1990, le renouveau identitaire va
parfois jusqu'à la restauration des tribus et de leurs conseils.
C'est le cas des
Aït Djennad (1987), Aït Bouaddou (1990), Illoulen Ousammer (1995), qui réglementent
les cérémonies et les dépenses effectuées lors des célébrations
(mariages, circoncisions et retours de pèlerinage),
avec des sanctions prévues.
Lors du Printemps noir de 2001,
les tajmaât
et les comités de village servent d'ossature à
la revendication identitaire et de cadre politique à
la mobilisation, se substituant aux partis politiques.
C'est dans leur cadre que s'organisent les marches,
la réquisition des moyens de transport et la
solidarité avec les victimes de la répression.
En 2001,
le mouvement désigné comme le
Mouvement citoyen des Aarchs
marque aussi le retour dans la société de la tribu.
Ce renouveau des formes d'organisation traditionnelles dans
la société kabyle est lié à
la « sacralité » de l'espace
villageois. Comme la langue, la société
traditionnelle kabyle cherche à
négocier son rapport au changement pour assurer sa pérennité.
Situation et évolutions linguistiques
Schéma d'ensemble des aires linguistiques du nord-est
algérien, du milieu du
XIXe siècle au milieu du
XXe siècle
L'article « kabyle
» présente en détail la langue kabyle.
Les Kabyles font partie des Berbères (Imazighen). Leur langue, le kabyle
(taqbaylit), parlée par la grande majorité de la population, est une variété du berbère (tamazight).
Signalisation trilingue à la faculté de Tizi-Ouzou (photographie de 2007).
En Grande Kabylie et dans la partie de la Petite Kabylie où le kabyle prévaut, il est la langue maternelle et quotidienne de la presque totalité de la population. Là où populations kabylophones et arabophones sont en contact, un bilinguisme kabyle-arabe algérien est pratiqué de part et d'autre. à Béjaïa et à Tizi Ouzou, où la population urbaine traditionnelle était majoritairement arabophone, l'exode rural qui a suivi l'indépendance a généralisé la diffusion du kabyle. Quant à l'arabe littéral, son emploi est cantonné au système d'enseignement et aux administrations de l'état central. En pratique, c'est plutôt le français qui est employé pour les usages écrits ou savants et, de façon presque exclusive, dans le commerce et la publicité.
Si le territoire de Grande Kabylie compte peu d'habitants de langue maternelle
arabe,
Basse et Petite Kabylies ont été davantage arabisées. En Basse Kabylie, l'arabisation remonte à la période ottomane. à cette époque, des terrains de la région ont été concédés à quelques familles d'origine turque ou arabe ainsi qu'à la tribu des Iamriwen, constituée d'aventuriers et de proscrits des autres tribus kabyles. En même temps que la garde et l'usage des terres de plaines, ils recevaient de leurs commanditaires un cheval avec la charge de tenir en respect les populations avoisinantes. Leur contrôle s'est étendu jusqu'en Haute Kabylie, sur toute la moyenne vallée du Sebaou ; là, comme dans les basses plaines, le Makhzen s'est montré un puissant facteur d'arabisation. Toutefois, on a assisté depuis à une rekabylisation partielle de ces territoires.
En Petite Kabylie, le kabyle était encore majoritairement parlé au
XIXe siècle jusqu'au-delà de l'oued El Kebir.
Si Jijel et ses environs étaient déjà arabisés, vers l'intérieur il n'y avait pas encore de rupture territoriale entre les parlers kabyle et chaoui. Aujourd'hui le Guergour est à moitié arabophone et le Ferdjioua, en totalité. à l'est, l'expression de Kabyles el hadra a été créée au XVIIIe siècle pour désigner les montagnards arabophones du Nord-Constantinois ayant acquis la culture urbaine et abandonné la vie de montagne.
à côté des musulmans existent des minorités chrétiennes , catholiques ou protestantes de diverses confessions :
anglicans,
baptistes et plus récemment
évangéliques.
Les juifs, qui ont presque tous quitté le pays à l'issue de la guerre d'Algérie,
avaient auparavant une présence significative dans les régions de
Sétif et de
Béjaïa.
Dans cette dernière ville, le quartier de Karamane en abritait une importante communauté : on y trouve encore le bâtiment de l'ancienne
synagogue.
Venant après les traductions de la
Société biblique britannique, une édition d'émanation catholique des quatre évangiles en kabyle a été publiée de 1987 à 1991. Des travaux entrepris pour la traduction du Coran
et la rédaction d'un lexique religieux en kabyle ont abouti à une parution en 1998.
Taddart, le village kabyle,
est généralement placé sur une crête (tawrirt) ou un plateau élevé
(agwni), emplacement dont souvent son
nom rend compte (exemple : Tawrirt Mimoun, tawrirt Aden). Il est
composé d’un ensemble de ruelles et de maisons, d'une fontaine,
d'une mosquée et du lieu d'assemblée,
tajmaat. Les maisons sont étroitement regroupées de
façon que leur ensemble, vu de l'extérieur, forme un bloc unique.
En élévation, elles paraissent se chevaucher, chaque pignon
dépassant le pignon voisin en montant vers le sommet. Pressées
les unes à la suite des autres au long des lignes du relief, elles
forment de véritables agglomérations descendant rarement
en dessous de cinq cents habitants. Cette répartition dense est
sensiblement identique à celle des
Kasbahs
.
Ce type de village répondait notamment, avant l'apparition de l'artillerie, à
des préoccupations défensivesà partir du
XXe siècle et surtout de la
guerre d'Algérie,
le déclin de l'agriculture et l'exode rural le mettent progressivement
en concurrence avec les villes qui offrent toutes les commodités
.
Simultanément son architecture se trouve sérieusement
menacée par l'introduction du
béton.
Axxam(la maison)
Maison paysanne à toiture couverte de tuiles creuses.
Les Chenachas, village du Djurdjura : maisons paysannes à toiture de
terre bombée (carte postale des années 1900).
L'ancienne maison paysanne kabyle, l’axxam,
est un bâtiment à pièce unique, de plan rectangulaire, sans étage,
à cohabitation de l'homme et du bétail.
La toiture consiste soit en deux versants couverts de tuiles, soit en une terrasse
bombée.
Les fondations sont des tranchées comblées avec de grosses pierres
(adrar) et du mortier d'argile.
Pour les murs porteurs, deux techniques sont employées, le mur de pierre
(taghaladt) et le mur de
pisé
avec un coffrage en bois (tabbadit).
La charpente est faite de pannes (isulas),
la panne faîtière (asulas alemmas) étant souvent
la plus importante. Les pannes reposent sur les murs-pignons et parfois sur
des poteaux de bois fourchus
(tikjda).
La couverture est faite de roseaux (ighunam)
ou de branches
d'olivier (tachita n tazemmurt)
et de tuiles d'argile (karmoud)
creuses ou (plus tardivement) mécaniques.
Le sol de la partie habitée (le tigergert) est constitué
d'un mortier à base d'argile et de gravier auquel on ajoute de la paille
hachée ou de la bouse de vache et parfois de la chaux ou de la tuile
broyée. Dans ce sol, se creuse le foyer (le kanun) et se tient
le moulin à bras.
Souvent, plusieurs maisons à pièce unique, logeant des familles
issues du même père, sont regroupées autour d'une cour
centrale appelée oufrag,
laquelle s'ouvre sur la rue par un porche, l’
asquif. Aucune maison ne donne directement sur la rue
.
Lors de la construction, le travail intérieur concernant le sol et les
murs revenait aux femmes. Les murs sont crépis à l’aide d’un
enduit composé d’argile schisteuse passée au tamis, à
laquelle on ajoutait de la bouse de vache et de la paille fine pour éviter
les fissures de rétraction.
Les fonctions économiques de la maison étaient réparties en
trois espaces distincts : l’addaynin (« étable ») pour le bétail, ménagée
sous la takanna («
soupente ») pour les provisions et le
takaat, où était disposé le métier à
tisser.
La maison est plus ou moins décorée et ornée selon l'importance
sociale et la richesse du propriétaire, de sa famille ou de sa
tribu. à l'intérieur, les fresques murales ont recours à
des symboles variés,
aux significations multiples. La décoration extérieure
concerne les portes, sur les battants desquels le menuisier incise au
moyen d’une pointe de fer des motifs faits de lignes droites,
de points, de petits cercles, de rosaces et de croix qui forment des
compositions d’ensemble.
Ouvrages civils et religieux
La région possède un patrimoine civil encore vivant. C'est le cas par
exemple des
salines traditionnelles (tamellaht),
comme celles que l'on peut rencontrer dans les
Bibans :
elles sont constituées de bassins d'argile de couleur ocre dans lesquels
l'eau, issue d'une source naturellement salée, s'évapore lentement
.
Le patrimoine religieux de Kabylie est riche d'une multitude de mausolées (taqubet, littéralement «
le tombeau »). D'architecture généralement assez simple,
ce sont des lieux de mystique et de mémoire. Parmi les plus
célèbres figurent ceux de
Yemma Gouraya et de
Mohand Ou Lhocine.
Certains reçoivent toujours un grand nombre de visites. Un des plus connus et des plus ornés est celui de Cheikh
Amokrane, à Aït Zelal, auquel
Cheikh El Hasnaoui a
consacré une chanson
. Cheikh Aheddad, un des chefs de la
révolte des Mokrani,
possède aussi le sien dans son village de Seddouk Oufella
.
Une caractéristique de la région est la densité du réseau
de ses zaouïas. Parmi les
plus connues figurent celles de Sidi Saïd à
Akbou,
de Sidi Mansour El Djennadi, fondée en
1635 à
Fréha, de Sidi Mhand Oumalek, de Tassaft, etc. Pour la seule
wilaya de Tizi Ouzou on compte encore
21 zaouïas en activité, où étudient
500
talebs. Elles possèdent toujours
un important patrimoine mobilier, architectural et agricole
.
Les mosquées de Kabylie connaissent une grande variété de styles.
Entourée de vestiges
puniques et
romains,
la jamaa El Kevir du vieil Azeffoun a pour minaret
une antique tour de garde construite sous l'
empereur
Auguste ; deux colonnes romaines supportent le toit de sa salle
de prière. Ses pierres massives
contrastent avec les mosaïques mauresques de la
jamaa Sidi Soufi de
Béjaïa.
Dans cette même ville, les murs de la mosquée
de la casbah, en attente d'un programme de restauration,
conservent la mémoire des cours qu'y a donnés
Ibn Khaldoun. Béjaïa possède aussi
une ancienne synagogue, trace d'une présence
juive citadine, dont le dôme multicolore se dresse dans le
vieux quartier de Karamane. La présence romaine
puis byzantine a laissé des vestiges de
basiliques comme celle de
Tigzirtet de
Djemila.
La forme de structure défensive la plus ancienne et la plus répandue est
l'organisation des villages kabyles et leur situation sur des points stratégiques,
tirant parti du relief de la région
.
Cependant au cours de l'histoire, les dynasties musulmanes locales, soucieuses
de protéger le siège de leur pouvoir, ont doté leurs
capitales respectives de citadelles et de murailles : en témoignent
celles élevées successivement par les
Hammadides
à la Kalâa des Béni Hammad
et à
Béjaïa.
La casbah de Béjaïa, bâtie en
1067
et située au cœur de la cité historique, s'étend sur
160 mètres du nord au sud et occupe une surface de 20 000
m2, enceinte d'un mur de
13 mètres de hauteur. La ville conserve également une partie de ses murailles d'époque hammadide,
notamment Bab el Bahr,
la « porte de la Mer », qui servait d'arc de triomphe pour le
passage des navires,
. Les Espagnols,
qui l'ont occupée entre
1510 et 1555,
y ont laissé des édifices comme le
Borj Moussa, construit en pleine ville à
partir d'un palais hammadide, devenu musée d'antiquités
tout en ayant gardé son aspect massif et ses meurtrières ;
ou le Borj Yemma Gouraya
, bâti à 670 mètres d'altitude autour d'un
ancien poste d'observation, qui surplombe Béjaïa et son golfe.
L'architecture actuelle du fort est due aux militaires
français qui à leur arrivée dans la
région en ont remanié les structures en fonction
de leurs besoins, comme ils l'ont fait pour d'autres ouvrages
militaires. Ayant d'abord été
le lieu du tombeau de la sainte patronne de la ville,
Yemma Gouraya, il reste
un but de pèlerinage pour les populations locales
qui font l'ascension de la montagne pour visiter les lieux
.
La Kalâa des Aït Abbas,
bâtie en 1510
au cœur de la chaine des Bibans, est l'ancienne
capitale fortifiée du
royaume des Aït Abbas.
Elle reprend l'architecture des villages kabyles, très agrandie et
complétée de fortifications, de postes d'artillerie et de
guet, de casernes, d'armureries et d'écuries pour les unités
de cavalerie.
Une grande partie de ces structures, bombardée durant la
guerre d'Algérie,
est aujourd'hui dans un état délabré.
Mais le site garde des joyaux comme sa mosquée d'architecture
berbèro-andalouse.
La Grande Kabylie également est parsemée de nombreux forts,
comme le Borj Boghni et le
Borj Tizi Ouzou, qui ont
été édifiés à partir du
XVIe
siècle par la
régence d'Alger pour
encercler et contrôler la région et faire rentrer
l'impôt. D'architecture simple, ils ont souvent été
enlevés par les tribus locales soucieuses de garder leur autonomie
. à
Bordj Bou Arreridj, le Borj Mokrani,
bâti sous Hassan Pacha, a été
pris par les Mokranis
à plusieurs reprises au cours du
XVIIIe siècle,
ce qui lui vaut son nom actuel
Artisanat
Les Kabyles ont perpétué un artisanat ancestral,
source d'un revenu complémentaire longtemps important et
aussi moyen d'expression d’un « peuple artiste »
.
Cette production entrait dans un système d'échange économique et
culturel où chaque région ou tribu de Kabylie avait sa spécialité.
es villages avaient chacun leur jour de marché, qui donnait l'occasion aux
artisans locaux d'exposer leurs créations
De nos jours ces marchés traditionnels ont fait place aux foires
organisées dans les principaux centres de production artisanale :
« fête de la poterie » de
Maâtkas,
« fête du bijou » des
Aït Yenni,
« festival du tapis » des
Aït Hichem,
etc. Cependant, comme dans le reste de l'
Afrique du Nord et à la
suite du déclin de la société traditionnelle dont
il était l'expression, l'artisanat est aujourd'hui menacé.
Tissage et broderie
La broderie,
pratiquée exclusivement par les femmes, est principalement utilisée
dans la confection des habits traditionnels portés à l'occasion des
fêtes, en particulier des mariages. Elle fait vivre encore de nos jours
un nombre important de familles.
Le tissage utilise comme matière première la
laine du mouton,
ou plus rarement celle du dromadaire. Il sert à réaliser de nombreux
objets qui ont une grande importance sociale, comme les burnous
(ibidhiyen)
,
les tapis, les couvertures, les takchabit
ou les takendourt, pour la
production desquels l'activité se maintient bien qu'elle soit menacée
jusque dans la transmission du savoir-faire.
Les tapis de Kabylie sont faits de laine et confectionnés
par les femmes. Ils sont destinés à
un usage domestique, sur le sol ou les murs, ou religieux, pour la prière.
Bien que menacé, l'art du tapis se conserve dans quelques villages de Grande
Kabylie.
à l'image de l'ensemble de l'artisanat kabyle, le tissage emploie une variété
importante de couleurs et des motifs géométriques qui remontent à un passé très ancien.
Il existe par ailleurs une très forte ressemblance entre les productions de Kabylie et de
la vallée du Mzab,
autre région berbérophone. D'une manière générale, le tapis
amazigh
est très coloré et constitue un objet de décoration très demandé
.
Costumes traditionnels (XIXe
siècle).
Robes kabyles (v. 2010).
Tapis (v. 2000).
Poterie
La poterie kabyle (ideqqi
) révèle un ancrage africain en même temps que des relations
très anciennes avec l'art méditerranéen dont elle s'est enrichie
(formes arrondies et moulées, décors peints).
Faits d'argile
de différentes couleurs selon les gisements, les objets créés
s'illustrent par la pureté de leurs formes et la simplicité de leur
décor mais aussi par la complexité des motifs et des techniques
employés. Les signes et les symboles
utilisés pour la décoration remonteraient au
Néolithique
Le répertoire des coloris issus notamment de l'oxyde ferro-manganique,
du kaolin et de la résine de pin est également très ancien
.
Au contraire de la fabrication des tuiles, effectuée par les hommes,
l'essentiel de la poterie à usage domestique est un travail
réservé aux femmes.
Son utilité est aussi religieuse : les familles s'en servent pour orner
mosquées
et mausolées des saints
soufis et des marabouts. C'est en particulier la fonction du mesbah, un chandelier
utilisé aussi lors des festivités (mariages notamment)
.
La poterie tient un rôle important dans les fêtes, par exemple pour la
cérémonie du henné, mais également dans la vie quotidienne,
avec les jouets pour enfants qui sont des figurines représentant des animaux
.
Un des grands potiers kabyles, Boujemâa Lamali, exporta le savoir-faire
de la région au Maroc
où il anima à Safi
une école de la céramique.
Céramique, avec au centre un mesbah (v. 1900).
Plat d'argile (v. 1970).
Lampe à huile en forme d'oiseau (v. 1970).
Cruche (2013).
Porte gravée.
Travail du bois
Le travail du bois (takhdimt n'wasghar)
intervient dans la fabrication d'objets tels que les coffres
(sendouk), les portes (tigourra), les tables et, de
façon aujourd'hui marginale, les armes. Les essences utilisées vont
du
pin d'Alep au chêne-liège en passant
par le cèdre.
Les ouvrages sont souvent ornés de motifs géomé
triques (pointes, rosaces…). Historiquement le sendouk
est le meuble caractéristique de la région située à
l'est de la Soummam,
chez les Aït Abbas, les Aït Ourtilane et dans le
Guergour.
Actuellement les productions traditionnelles disparaissent au profit de la
réalisation de coffrets, d'objets-souvenirs et de petits articles comme
les ustensiles de cuisine, par exemple les cuillères et les tabaqit (une sorte de djefna).
Le centre principal de cette activité est le village de
Djemâa Saharidj en
Grande Kabylie, également connu pour sa production de
vannerie.
Bijoux
Les bijoux de Kabylie sont très connus au
Maghreb pour
leurs couleurs vives et leur raffinement. Constitués d'
argent,
ils sont ornés de coraux récoltés
en Méditerranée et parfois d'émaux
,
.
Les couleurs des émaux sont obtenues par la préparation
d'oxydes métalliques : par exemple, l'
oxyde de cobalt donne un bleu translucide, l'
oxyde de chrome un vert foncé
translucide et l'oxyde de cuivre un vert
clair opaque.
Typiquement berbère, cet art s'est enrichi des apports des
Andalous qui ont fui l'Espagne
lors de la Reconquista.
La technique de l'émail cloisonné serait ainsi un apport andalou, qui
aurait transité par Béjaïa
avant de se répandre dans l'arrière-pays pour
enrichir les techniques locales
. Il y a plusieurs sortes de bijoux qui correspondent à
des usages particuliers : broches de front ou de poitrine (tavrucht) et
fibules (tabzimt),
qui retenaient les robes en divers points, ceintures (tahzamt),
colliers (azrar),
bracelets (azevg),
bagues (tikhutam)
et boucles d'oreilles (talukin).
Les orfèvres kabyles les plus illustres sont les
Aït Yenni de Grande Kabylie. Il existe en
Petite Kabylie un type de bijou forgé en argent, semblable à
ceux des Aurès.
Activité économique, l'artisanat est aussi l'un des modes
d'expression de la culture traditionnelle. à travers ses différentes
formes se retrouve un ensemble de signes et de symboles également
employés dans la décoration murale des maisons et dans les tatouages.
Ce répertoire graphique remarquablement stable est constitutif d'une
« écriture spécifiquement féminine », à
signification ésotérique magique
,
et qui est peut-être la survivance d'une « écriture-mère
» elle-même « à la source des écritures alphabé
tiques méditerranéennes, de l'Ibérie au Moyen-Orient
».
Patrimoine culturel
La culture kabyle appartient à l'ensemble culturel berbère,
comme celles des Chaouis, des
Touaregs
, des
Chenouis, des
Mozabites, ainsi que des autres berbérophones d'
Afrique du Nord. De par l'histoire et la proximité, elle a
considérablement influencé la culture urbaine des villes d'
Algérie, comme Alger ou
Constantine.
Mais elle est par nature variée et diverse, comme l'a écrit
Mouloud Mammeri :
« Chaque village est un monde. Un sol bourré de valeurs,
de traditions, de saint lieux, […] d’honneur ombrageux,
de folles légendes et de dures réalités
.
»
L'Artisanat Amazigh (Bijoux
sur la photographie) est un exemple typique d'artisanat des régions enclavées d'
Afrique du Nord,c'est aussi le plus varié et le plus raffiné. Les bijoux amazigh sont
très connus en Afrique du nord pour leurs couleurs vives et leur raffinement.
Constitués d'argent, ils sont ornés de coraux récoltés en
Méditerranée ou parfois d'émaux. Typiquement
amazigh, au fil de l'histoire l'art des bijoux kabyles s'est aussi enrichie des apports des
Andalous .Historiquement, l'artisanat amazigh a joué un grand rôle économique et social.
En effet, dans un pays montagneux qui n'offrait à l'expansion de l'agriculture que
des possibilités limitées, c'était souvent pour la population un complément
de ressources indispensable. L'artisanat en Kabyle se compose essentiellement
de l'orfèvrerie, la poterie, le tissage, le travail du bois et la vannerie.
Le tamazight peut être écrit avec l'
alphabet tifinagh
(ou libyco-berbère), vieux de plus de 2500 ans, ou l'alphabet latin. Certains (notamment au Maroc) utilisent
l' alphabet arabe.
Parmi les équipes de football de la région, la
Jeunesse sportive de Kabylie
(JSK) se distingue nettement par la richesse de son palmarès.
C'est aujourd'hui la première équipe d'
Algérie par le nombre de coupes gagnées.
Le club, qui n'a jamais connu la relégation depuis son accession en
première division en 1969, remporte son premier championnat
d'Algérie quatre ans seulement après celle-ci, en 1973.
Il conserve son titre la saison suivante ; 12 autres suivent, le
dernier en 2008. La JSK a également remporté cinq coupes
et une supercoupe d'Algérie. Lors de la première, en 1977,
les « jaune-et-vert » gagnent également le
championnat d'Algérie : le club réalise ainsi son premier
doublé coupe-championnat, exploit qu'il réédite en 1986.
Les « vert-et-jaune » s'imposent aussi sur
le plan continental en remportant deux coupes des clubs champions,
en 1981 et 1990, ainsi que la coupe des coupes en 1995. La JSK a également
gagné trois coupes de la CAF d'affilée, en 2000, 2001 et 2002.
Depuis 2010, le club a le statut de professionnel à la suite d'une
réforme du championnat.
L'autre grand club de football de la région est la
JSM Béjaïa.
Son ascension en première division a fait naître le
derby kabyle.
La Kabylie est aussi un fief du volley-ball algérien,
notamment à Béjaïa, considérée
comme le pôle national de la discipline. Les joueuses de l'
équipe
d'Algérie de volley-ball féminin, qui ont remporté
la coupe d'Afrique des nations, sont majoritairement issues des clubs de
Béjaïa, qui dominent dans les compétitions nationales et africaines.